Il y a comme un décalage, un manque de concordance logique entre l’action et la réaction.
Cette semaine, une vague d’interpellations a eu lieu dans le mouvement écologiste. Les témoignages recueillis par Mediapart décrivent une opération policière hors-norme : des dizaines de policiers cagoulés quadrillant un village, des perquisitions et interpellations dans au moins dix villes, une enquête ouverte pour « association de malfaiteurs », des gardes-à-vue pouvant durer 96 heures comme pour le grand banditisme.
Hors norme pour les faits reprochés : une action militante qui a duré 15 minutes, en décembre dernier, contre l’usine Lafarge de Bouc-bel-Air (Bouches-du-Rhône). Que fait-on exactement en quinze minutes contre le leader mondial du ciment ? On sectionne des câbles électriques, on éventre des sacs de ciment, on endommage quelques machines et engins de chantier, on inscrit en lettres noires des slogans sur les murs : « c’est qui les dindons de la farge ». 4 millions d’euros de dégâts selon les estimations, invérifiables pour l’heure, de l’entreprise. Soit 0,01% de son chiffre d’affaires annuel. L’usine a recommencé à tourner deux jours plus tard.
« Saccage », « sabotage », « activisme violent » ou bien « démantèlement », « désarmement » ? Le champ sémantique est large pour qualifier l’action et donc, porter différentes positions politiques face à l’urgence environnementale. Parce que, au fond, le sujet est vital : le béton, produit par Lafarge en quantité toujours plus importante, est incompatible avec la survie de la planète. Il étouffe les sols, constipe les rivières, détruit les habitats naturels, erode les plages, pollue l’air et aussi, c’est le deuxième responsable des dérèglements climatiques après les énergies fossiles. Alors, dans ce contexte, quelle action devient légitime pour notre subsistance à long terme ? Et où est la violence ?
Mais ce débat n’a pas eu lieu car il a dérivé d’emblée dans des sphères délirantes qui coupent court à toutes réflexions sensées : « terrorisme ». « Ce sont des actes comparables à du terrorisme. Le pire aurait pu arriver et provoquer les mêmes conséquences qu’un attentat terroriste », écrivait le maire LR de Bouc-Bel-Air dans un communiqué en réaction à l’action. Pour oser une telle outrance dans un pays qui a connu la réalité des attentats, il fallait un terrain bien préparer. Et l’agitateur est au sommet de l’État où le ministre de l’intérieur Gérard Darmanin réitère à intervalle régulier ses accusations d’écoterrorisme, sans prise avec aucune réalité, contre les activistes écologistes.
Dépolitiser, décrédibiliser, faire taire en criminalisant, la stratégie est rebattue et délétère mais là, elle tourne au ridicule. Car dans cette histoire, le plus proche du terrorisme, c’est l’usine Lafarge. Et il ne s’agit pas du débat sur qui est l’écoterroriste entre l’activiste écologiste ou le pollueur, mais des accusations très concrètes qui pèsent sur le cimentier français.
Le groupe est actuellement mis en examen pour « financement d’une entreprise terroriste » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Précisément pour avoir financé des organisations terroristes, dont l’État islamique. Son unique but, selon les enquêtes de Mediapart, était de maintenir coûte que coûte son activité en Syrie. Ce qui fait peur sur les lignes rouges que Lafarge est prête à franchir et notamment face aux dérèglements climatiques. Des lignes rouges autrement plus dévastatrices que 15 minutes de tags « éco-terroristes » sur les murs d’une cimenterie. |