Samedi 02 avril 2022
PartagerFacebookFacebook
Cette lettre vous a été transférée par un·e ami·e ? Vous pouvez vous inscrire directement en cliquant ici 
COULISSES.
Campagne présidentielle : chut, ne parlez pas de corruption

Par , co-responsable du pôle Enquête
enquete@mediapart.fr
À huit jours du premier tour de l’élection présidentielle, on sait qu’une immense partie des Français vont soit s’abstenir, soit voter à l’extrême droite. Ce qui dans les deux cas traduit un dégoût profond de la politique.
 
Les raisons en sont multiples, mais une, d’évidence, n’est pas débattue dans cette campagne : celle de la probité, de l’exemplarité.
 
Emmanuel Macron a pourtant été élu grâce à l’affaire Fillon. Et dès son élection, il a fait voter une loi sur la moralisation de la vie publique et de confiance dans la vie politique.
 
Mais comment avoir confiance ? « Réalise-t-on que sur les trois ministres de la justice du quinquennat Macron, deux sont mis en examen pour des atteintes à la probité, François Bayrou et Éric Dupond-Moretti ? Sans que cela ne semble susciter aucune espèce de prise de conscience quant à la gravité de la situation, analyse Fabrice Arfi, qui a révélé dans Mediapart les conflits d’intérêts de l’actuel garde des Sceaux. Au contraire : Emmanuel Macron soutient de toutes ses forces son ministre de la justice en exercice en s’en prenant… à la justice. » Et alors même qu’il avait promis de se séparer de ses ministres qui seraient mis en examen.
 
Une grande partie de l’entourage du président, censé incarner le nouveau monde, est également mise en cause pour des faits souvent lourds et largement documentés par Mediapart au cours du quinquennat.
 
Au sein de son cabinet, son bras droit Alexis Kohler, son conseiller politique Thierry Solère, son homme de confiance Alexandre Benalla, sa propre femme, Brigitte Macron, qui a proposé son aide à celle qui fut la principale communicante du couple, Mimi Marchand, mise en examen pour « association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie en bande organisée ».
 
Idem pour ses ministres, présents ou passés : François Bayrou, Agnès Buzyn, Gérard Collomb, Gérald Darmanin, Jean-Paul Delevoye, François de Rugy, Éric Dupond-Moretti, Olivier Dussopt, Nathalie Elimas, Richard Ferrand, Laura Flessel, Sylvie Goulard, Alain Griset, Nicolas Hulot, Sébastien Lecornu, Françoise Nyssen, Muriel Pénicaud, Jean Castex.
 
Et ses parlementaires : Laëtitia Avia, Jean-Jacques Bridey, Benoît Simian et beaucoup d’autres encore.
 
Mais la délinquance en col blanc n’intéresse pas, paraît-il. La justice est souvent tolérante. Devant la Cour de justice de la République, « la personnalité et le parcours » du prévenu adoucissent les sanctions au lieu d’en faire une circonstance aggravante. Quant au parquet national financier, il vient de blanchir des parlementaires ayant détourné de l’argent public, sans raison sinon leur pedigree.
 
Les médias n’y prêtent pas plus attention. Tout un symbole : au cours de l’année écoulée, les deux procès et les deux condamnations de Nicolas Sarkozy n’ont pas fait les gros titres. « Les journalistes ont suivi, mais des procès d’assises pour des faits divers avaient autant d’écho sinon plus au même moment », remarque Michel Deléan, qui suit les grands procès politico-financiers pour Mediapart. Les médias n’a pas consacré leur une à l’événement. « Alors que c’était historique : un ancien président jugé pour corruption ! La dimension n’a pas été perçue. Est-ce parce que Sarkozy a encore le bras long et est copain avec certains propriétaires de médias ? Est-ce que ce sont les rédactions en cheffe qui pensent que cela n’intéresse pas les lecteurs ? Même des journalistes sur place avaient une certaine tendance à minimiser, à estimer que ce n’était pas si grave. »
 
Quant aux candidats à la présidentielle, ils ne commentent pas les affaires, ne s’offusquent de rien, ne proposent pas grand-chose ou en tout cas rien d’audible. « Cela n’existe pas dans le débat public, comme si c’était un sujet très secondaire. Alors que c’est un éléphant dans la pièce », observe Michel Deléan, qui a épluché les programmes des différents candidats sur ces thématiques. « Est-ce parce que tous les partis ont des affaires qu’ils traînent comme des boulets et qu’ils ne peuvent plus se permettre de commenter ? Est-ce la solidarité des réprouvés ? Est-ce parce qu’ils redoutent que cela renforce l’abstention ? »
 
Pour Michel Deléan, cette dernière hypothèse serait une erreur : « Le désintérêt pour ces questions entretient un climat malsain. » Qui peut croire en effet qu’en taisant la corruption, les citoyens la croiront disparue ? « Le venin du “tous pourris”, contre lequel il faut évidemment lutter, ne vient pas de la révélation des “affaires”, mais de l’incapacité de s’en saisir véritablement, au-delà des divergences partisanes. Et ce n’est pas en 2022 que cela va changer, manifestement... », regrette Fabrice Arfi, qui poursuit : « Ce n’est pas comme si nous ne vivions pas dans un pays dans lequel un ancien président de la République, Jacques Chirac, a été condamné pour des atteintes à la probité ; dont le premier ministre, Alain Juppé, a été condamné pour des atteintes à la probité ; dont le successeur à l’Élysée, Nicolas Sarkozy, a été deux fois condamné pour des atteintes à la probité ; dont le premier ministre, François Fillon, a été condamné pour des atteintes à la probité. Quelle démocratie européenne moderne connaît un tel palmarès judiciaire au sommet de son État ? »
 
Mais comme le fait remarquer Michel Deléan, « personne ne porte ces débats. Il y a seulement deux ou trois ONG en France qui en font leur priorité. Et elles ne sont jamais invitées dans les matinales ». Comme si cela n’intéressait pas. Comme si c’étaient les journalistes enquêteurs qui étaient responsables du score de l’extrême droite. Comme si la confiance n’était pas rompue.
 
Un jour, le réveil sera brutal. Espérons que ce ne soit pas le 25 avril.

Sur le même sujet, lire aussi :
Par
Par

Le document de la semaine

D’après nos informations, le cabinet de conseil McKinsey, qui a bénéficié depuis 2017 de contrats contestés, a travaillé gratuitement pour Emmanuel Macron dès son arrivée au ministère de l’économie. Une stratégie d’influence construite sur des documents fabriqués au doigt mouillé. Ici un graphique bien peu lisible, sans grandeur en abscisse ou en ordonnée, sur le « degré de disruption » censé démontrer la « maturité numérique » de différents secteurs d’activité de l’économie française.
Agrandir l'image

Nos autres enquêtes

Le ministre de la justice a affirmé sur procès-verbal avoir suggéré au plus haut magistrat de France d’ouvrir une enquête pour trouver les sources de Mediapart après la publication d’un article embarrassant, selon les révélations d’un livre.

La vidéo de la semaine

Chaque week-end, retrouvez un extrait du film « Media Crash », en salles depuis le 16 février. Aujourd’hui, nous racontons comment Éric Zemmour a profité de l’exposition que lui a offerte Cyril Hanouna sur C8 pour faire valoir ses idées sans contradiction aucune.
Voir la vidéo

Police / Justice

Les premiers éléments de l’enquête sur le décès de Jean-Paul, à la suite de son interpellation par la police, le 26 mars, à Aulnay-sous-Bois, mettent à mal la thèse de la légitime défense des forces de l’ordre. La famille de la victime ainsi que sa conjointe ont porté plainte contre les policiers.

La Revue dessinée

De Rugy, Dupond-Moretti, Benalla, Kohler, Darmanin : la présidence Macron n'a pas échappé aux scandales politico-financiers, contrairement aux promesses faites lors de son accession au pouvoir. Vous trouverez en librairies à partir du 9 février La présidence Macron sous enquêtes, un livre d’enquête dessiné coédité avec nos amis de La Revue dessinée. Également disponible dès maintenant en cliquant ici.  

Il y a 10 ans dans mediapart

Une bonne partie du patrimoine du président résulte de la vente de l'appartement de l'île de la Jatte, acquis en 1997. En 2007, il avait dit avoir financé cet achat grâce à un prêt de l'Assemblée de plus de 3 millions de francs. Or, ce prêt ne figure pas sur l'acte de vente (que nous publions), et dépasse le plafond en vigueur à l'époque.

INFORMEZ-NOUS

C’est peut-être vous qui nourrirez une des prochaines Newsletter Enquête de Mediapart en nous communiquant une information sur laquelle nous enquêterons.
Pour ce faire, écrivez-nous à enquête@mediapart.fr
Faites découvrir votre journal !
Offrez à vos proches 1 mois d’accès illimité aux enquêtes, analyses et vidéos de Mediapart. Ils pourront juger de toute pièce de la qualité d’un journal 100% indépendant.
Je parraine
MediapartTwitter

Apple StoreGoogle Play

Gérer mes newslettersSe désinscrire

Pour être sûr(e) de recevoir nos envois, merci d’ajouter l’adresse suivante dans votre carnet d’adresses : mediapart@info.mediapart.fr ou mediapart@mailing.mediapart.fr