À huit jours du premier tour de l’élection présidentielle, on sait qu’une immense partie des Français vont soit s’abstenir, soit voter à l’extrême droite. Ce qui dans les deux cas traduit un dégoût profond de la politique.
Les raisons en sont multiples, mais une, d’évidence, n’est pas débattue dans cette campagne : celle de la probité, de l’exemplarité.
Emmanuel Macron a pourtant été élu grâce à l’affaire Fillon. Et dès son élection, il a fait voter une loi sur la moralisation de la vie publique et de confiance dans la vie politique.
Mais comment avoir confiance ?
« Réalise-t-on que sur les trois ministres de la justice du quinquennat Macron, deux sont mis en examen pour des atteintes à la probité, François Bayrou et Éric Dupond-Moretti ? Sans que cela ne semble susciter aucune espèce de prise de conscience quant à la gravité de la situation, analyse Fabrice Arfi, qui a révélé dans Mediapart les conflits d’intérêts de l’actuel garde des Sceaux.
Au contraire : Emmanuel Macron soutient de toutes ses forces son ministre de la justice en exercice en s’en prenant… à la justice. » Et alors même qu’il avait promis de se séparer de ses ministres qui seraient mis en examen.
Une grande partie de l’entourage du président, censé incarner le nouveau monde, est également mise en cause pour des faits souvent lourds et largement documentés par Mediapart au cours du quinquennat.
Au sein de son cabinet, son bras droit
Alexis Kohler, son conseiller politique
Thierry Solère, son homme de confiance
Alexandre Benalla, sa propre femme,
Brigitte Macron, qui a proposé son aide à celle qui fut la principale communicante du couple,
Mimi Marchand, mise en examen pour « association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie en bande organisée ».
Idem pour ses ministres, présents ou passés :
François Bayrou,
Agnès Buzyn,
Gérard Collomb,
Gérald Darmanin,
Jean-Paul Delevoye,
François de Rugy,
Éric Dupond-Moretti,
Olivier Dussopt,
Nathalie Elimas,
Richard Ferrand,
Laura Flessel,
Sylvie Goulard,
Alain Griset,
Nicolas Hulot,
Sébastien Lecornu,
Françoise Nyssen,
Muriel Pénicaud,
Jean Castex.
Et ses parlementaires :
Laëtitia Avia,
Jean-Jacques Bridey,
Benoît Simian et beaucoup d’autres encore.
Mais la délinquance en col blanc n’intéresse pas, paraît-il. La justice est souvent tolérante. Devant la Cour de justice de la République, « la personnalité et le parcours » du prévenu
adoucissent les sanctions au lieu d’en faire une circonstance aggravante. Quant au parquet national financier, il vient de
blanchir des parlementaires ayant détourné de l’argent public, sans raison sinon leur pedigree.
Les médias n’y prêtent pas plus attention. Tout un symbole : au cours de l’année écoulée, les deux procès et les deux condamnations de Nicolas Sarkozy n’ont pas fait les gros titres.
« Les journalistes ont suivi, mais des procès d’assises pour des faits divers avaient autant d’écho sinon plus au même moment », remarque Michel Deléan, qui suit les grands procès politico-financiers pour Mediapart. Les médias n’a pas consacré leur une à l’événement.
« Alors que c’était historique : un ancien président jugé pour corruption ! La dimension n’a pas été perçue. Est-ce parce que Sarkozy a encore le bras long et est copain avec certains propriétaires de médias ? Est-ce que ce sont les rédactions en cheffe qui pensent que cela n’intéresse pas les lecteurs ? Même des journalistes sur place avaient une certaine tendance à minimiser, à estimer que ce n’était pas si grave. »
Quant aux candidats à la présidentielle, ils ne commentent pas les affaires, ne s’offusquent de rien, ne proposent pas grand-chose ou en tout cas rien d’audible.
« Cela n’existe pas dans le débat public, comme si c’était un sujet très secondaire. Alors que c’est un éléphant dans la pièce », observe Michel Deléan, qui a épluché les programmes des différents candidats sur ces thématiques.
« Est-ce parce que tous les partis ont des affaires qu’ils traînent comme des boulets et qu’ils ne peuvent plus se permettre de commenter ? Est-ce la solidarité des réprouvés ? Est-ce parce qu’ils redoutent que cela renforce l’abstention ? »
Pour Michel Deléan, cette dernière hypothèse serait une erreur :
« Le désintérêt pour ces questions entretient un climat malsain. » Qui peut croire en effet qu’en taisant la corruption, les citoyens la croiront disparue ?
« Le venin du “tous pourris”, contre lequel il faut évidemment lutter, ne vient pas de la révélation des “affaires”, mais de l’incapacité de s’en saisir véritablement, au-delà des divergences partisanes. Et ce n’est pas en 2022 que cela va changer, manifestement... », regrette Fabrice Arfi, qui poursuit :
« Ce n’est pas comme si nous ne vivions pas dans un pays dans lequel un ancien président de la République, Jacques Chirac, a été condamné pour des atteintes à la probité ; dont le premier ministre, Alain Juppé, a été condamné pour des atteintes à la probité ; dont le successeur à l’Élysée, Nicolas Sarkozy, a été deux fois condamné pour des atteintes à la probité ; dont le premier ministre, François Fillon, a été condamné pour des atteintes à la probité. Quelle démocratie européenne moderne connaît un tel palmarès judiciaire au sommet de son État ? »
Mais comme le fait remarquer Michel Deléan,
« personne ne porte ces débats. Il y a seulement deux ou trois ONG en France qui en font leur priorité. Et elles ne sont jamais invitées dans les matinales ». Comme si cela n’intéressait pas. Comme si c’étaient les journalistes enquêteurs qui étaient responsables du score de l’extrême droite. Comme si la confiance n’était pas rompue.
Un jour, le réveil sera brutal. Espérons que ce ne soit pas le 25 avril.